Son cerveau se trouve place Colette à Paris, dans le musée de la Comédie-Française. Son cœur vibre encore, à quelques centaines de mètres de là, dans les réserves de la Bibliothèque nationale de France, sous une statue de Houdon à son effigie. Une de ses dents a trouvé refuge au musée-hôtel Bertrand de Châteauroux, un os de son pied est soigneusement conservé dans les réserves du musée municipal de Troyes. Le reste de son corps repose au Panthéon juste en face de son frère ennemi philosophique Rousseau.

Mais l’âme de Voltaire, plus de 250 ans après sa mort, erre toujours à 4 km de la frontière suisse dans le château et le parc de 7 hectares qui porte son nom à Ferney.

Le 16 mars, les deux Joël, Jean-Luc, Pauline, Youssef, Cécile, Hakim, Aymaen, lauréats du défi J’aime ma terre édition 2019, et leurs moniteurs d’ateliers Laure et Yannick, ont enfin pu profiter de leur prix presque deux années après l’avoir reçu des mains de la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel.

Parmi les choix offerts par le Centre des monuments nationaux, partenaire du concours, ils ont sélectionné une visite de la demeure et des jardins de Voltaire en mode VIP. Le Covid a étiré le temps mais le château en a vu d’autres. Pandémies, révolutions et guerres mondiales comprises, plus resplendissant que jamais grâce à une rénovation qui s’est achevée en 2018, il a fini par ouvrir en grand ses portes et ses jardins à l’équipe de travailleurs des Ateliers du Plantau. L’établissement et service d’aide par le travail (Esat) géré par la fondation OVE est installé à Chatte, une commune rurale de l’Isère. La structure, qui fait partie de la grande famille Solidel, réseau pour l’inclusion des personnes en situation de handicap sur leur territoire de vie créé par la MSA, accueille 40 personnes présentant une déficience intellectuelle et/ou des troubles psychiques orientées par la commission départementale de l’autonomie.

L’équipe a été récompensée pour son projet « Cultures du monde » dans la catégorie « Méthodes culturales vertueuses ». Leur but : mettre en lumière les compétences, la créativité et la capacité des travailleurs à s’impliquer dans un projet respectueux de l’environnement leur permettant de découvrir le monde à travers le végétal. Un engagement qui ne vise pas à vérifier si l’herbe est plus verte ailleurs mais à découvrir le rapport au vivant qu’entretiennent d’autres cultures pour enrichir leurs propres pratiques. Un thème qui prend une résonance particulière dans ce lieu où Voltaire a écrit son fameux Candide. Le livre conte le voyage initiatique d’un jeune homme, de la Bulgarie au Paraguay en passant par la France et le Surinam, pour terminer son voyage à Constantinople où Candide comprend l’importance de « cultiver son jardin ». Une morale qui enjoint quiconque à cultiver ses propres savoir-faire.

Ce n’est pas un chemin de vie égoïste mais humaniste qui rappelle à chaque personne qu’elle a une voie qui lui est propre pour se réaliser, se valoriser par l’effort et le travail et ainsi trouver sa place dans la société quelles que soient ses capacités. Presque la définition d’un Esat. Un hasard ? Mais Voltaire a écrit dans L’Ermite qu’il n’y en avait point…

« Au début, je me suis dit que visiter un château, c’est pas trop mon truc. Mais en fait j’ai adoré », lance Youssef, 22 ans, employé à l’atelier horticulture, visiblement conquis. Il faut dire que le centre des Monuments nationaux a vu les choses en grand en offrant une visite privée au groupe composé d’une dizaine de travailleurs des ateliers horticulture et sous-traitance industrielle. Les explications de Sarah Guillot- Dupont, technicienne de service culturel et responsable opérationnel du château, dévoilent un Voltaire intime qui vécut ici pendant une vingtaine d’années. « Le visage du seigneur de Ferney est partout : en peinture, en sculpture monumentale ou en miniature, et à tous les âges de la vie. Mais il y a une constante dans toutes les représentations du philosophe : son regard malicieux et son sourire », souligne l’historienne en désignant l’expression espiègle du maître des lieux.